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Jamais je ne serai français :(J'aurai beau faire)
Le Télégramme.com
"Il a deux amours: la Californie, où il vit, et la Bretagne où il revit. Dans un livre à l'humour jubilatoire, cet ancien opposant à la guerre du Vietnam raconte sa découverte de la Bretagne. Et nous tend un miroir qui renvoie des images drôles et pittoresques
Ce livre, c'est d'abord l'histoire d'un curieux aller-retour. Sous le titre «Jamais je ne serai français», il a été écrit pour les lecteurs américains et son intitulé pourrait laisser croire à un énième pamphlet yankee contre l'arrogance française. Rien de ça. Ici fleurit au contraire une chronique de la vie quotidienne en Bretagne, version Armorican graffiti, disséquée avec un regard affûté et une tendre ironie. Ce livre serait probablement resté en version anglaise sans l'appel d'un ami américain à Sophie Picon, directrice des éditions du Télégramme. «Je viens de lire un livre très drôle. Il démarre à Brest. Ce n'est pas du côté de chez toi, ça?». Voilà comment ce bouquin, édité aux États-Unis, a retraversé l'Atlantique.
Paris, De Gaulle et l'eau froide
La France, pourtant, il n'avait pas très envie d'y remettre les pieds, Mark Greenside, prof d'histoire et de sciences politiques. «J'étais venu à Paris en 1966, en pleine guerre du Vietnam. J'avais beau être un opposant à cette guerre, l'accueil était presque glacial et de toute évidence, pour les Français, nous n'étions que d'horribles impérialistes. C'était une période compliquée, comme les relations avec De Gaulle. Et en plus, il n'y avait pas d'eau chaude dans l'hôtel où j'étais!». La totale. Autant dire que quand son amie Kathlyn lui proposa, en 1991, d'aller couler des vacances heureuses en France, le souvenir du Vietnam, du général et de l'eau glacée revinrent dans sa mémoire comme une migraine dans les neurones. Mais même sa phobie de l'avion n'y changea rien: Kathlyn lui fit quitter l'Amérique pour la lointaine Armorique, appendice maritime de la France éternelle.
Rabelais sauce américaine
Avec Kathlyn, il l'avoue, cette escapade armoricaine dura encore moins longtemps qu'un amour d'été. Une brièveté contrastant singulièrement avec l'histoire d'amour que Mark Greenside a tissée avec la Bretagne depuis vingt ans, tombé sous le charme de son ciel et de ses paysages, du caractère entier de ses habitants et de leurs moeurs quotidiennes bien éloignées des standards américains. Ainsi, de ses déambulations au marché du village, avec son dictionnaire anglais-français, où il essaie d'acheter un poulet «au beaucoup de promenades» (en clair, élevé au grand air), il rapporte de savoureuses descriptions. «J'y ai vu, écrit-il, la plus étonnante collection de dessous féminins que j'aie jamais eu l'occasion de découvrir, à mi-chemin entre le marquis de Sade et Mamie Rose: des gaines aussi amples et résistantes que des joints de culasse pour poids lourds, des soutiens-gorge si bien bardés d'armatures métalliques qu'ils pourraient servir à des soupières, des culottes qui ressemblent à des montgolfières...». Une verve rabelaisienne, probable héritage de ses origines hongroises, qui conduit le lecteur dans des aventures banalement quotidiennes mais bougrement pittoresques.
La profession de notaire
Acheter une baguette fut le premier saut d'un itinéraire croustillant où le prof au vocabulaire squelettique se débrouille comme il peut avec le gars du fioul, le gars du plancher, le gars des assurances. Et une pléiade d'autres gens du cru, lui faisant découvrir, au passage, qu'en France existe la profession de notaire... «Moi, aux États-Unis, je ne possède rien. Je loue mon appartement, je loue ma voiture... Et pour mes grands-parents, communistes hongrois émigrés aux États-Unis, il n'y avait pas de doute: la propriété, c'est le vol! Ici, en Bretagne, je n'ai pas résisté. J'ai acheté une maison chez le notaire». Le notaire d'où, au fait? Celui de Plobien. Ne cherchez pas sur la carte. C'est quelque part dans le Centre-Bretagne, pseudonyme du petit village où il vit la moitié de l'année et qu'il a préféré laisser dans l'anonymat pour ne pas gêner les acteurs de ce livre à la diffusion désormais internationale. Car après les États-Unis, ce bouquin a aussi eu du succès en Pologne. «Peut-être, dit-il, parce que les Polonais sont francophiles. Mais je n'en sais pas plus»."